"Viens voir le docteur, non n'aie pas peur..."
Heureusement que c'est pas tous les jours la merde.
Avant-hier, ça a donné ça :
-Bonjour, c'est monsieur Nonyme. Je voudrais un rendez-vous avec le docteur, j'ai une sciatique qui me met le feu dans la fesse et qui me consume la cuisse depuis plus d'un mois. Pas facile pour porter Ma Fille. Et puis Ma Douce et Somptueuse Moitié ne croit qu'à moitié à mes douleurs, vous savez ?
-Ah oui, mais ce sera pas avec votre docteur habituel mais avec Madame Trucmuche.
-Bon, que je fais, pas de souci. L'idée c'est que je sois soigné hein.
-J'ai un rendez-vous mardi à 8 h 45 si vous voulez.
-Je prends.
Tac, c'était calé.
Avant-hier, donc, je sors de chez moi, et file à cinq minutes de là, sur le boulevard et me retrouve assis dans la salle d'attente où un sexagénaire propre sur lui attendait déjà, lui aussi, une sacoche en cuir un peu raide sur les genoux. On entend au bout du couloir un dialogue étouffé, des voix monter. Le truc classique de la fin de consultation, le patient soulagé d'être pas si en vrac que ça et qui se met - un peu - à raconter sa vie, peut-être ses dernières vacances, sur le pas de la porte du cabinet du praticien, en remettant un dernier pan de sa chemise dans son pantalon. Je sais bien, j'ai tendance à faire pareil. On entend le patient prendre congé, faire couiner ses souliers sur le lino beigeasse du couloir, puis claquer la porte derrière lui.
Sans tarder, une femme élancée, chignon, un peu sèche mais encore belle pour ses probables 55 ans, passe une tête dans la salle d'attente. Sûrement Mme Trucmuche. Elle pince ses lèvres en guise de sourire, fait un signe du menton au type à côté de moi. Il se lève sans piper mot et la suit. Me voici seul. Je regarde ma montre : ils devraient en avoir pour vingt minutes. S'il ne lui raconte pas trop ses vacances en Vendée, je serai pas trop à la bourre au boulot. A cette heure-ci de la matinée, le soleil inonde royal au bar la salle d'attente. Je décide de me caler plus confortablement sur ma chaise - même si cette fichue sciatique me balance un coup de 220 volts au passage - et je ferme les yeux pour mieux apprécier la douce chaleur sur mon visage.
-Monsieur... Nonyme ?
Je sursaute. Je cligne des yeux.
-Monsieur Nonyme ? On y va ?
En fait, je comprends en une fraction de seconde. La toubib que j'ai vue tout à l'heure n'était pas Mme Trucmuche, l'intérimaire de mon généraliste habituel. C'était son associée de toujours, celle qui partage les locaux avec lui. Mme Trucmuche, la remplaçante, elle est devant moi. Et sans déconner, elle ressemble carrément à ça :
A la base, je ne suis pas un hystérique de Sandra Bullock. Mais quoi, YEAH les amis, c'est ma toubib, là !!!! Elle n'est pas très grande, la trentaine, elle est fraîche comme une prairie subtilement veloutée par la rosée, elle porte une robe d'inspiration orientale, des nu-pieds sobres mettant en valeur une french pédicure toute simple. En fait, là où je dois passer pour un gros benêt, c'est que je suis bien. Sur ma chaise, à la regarder. Alors que dans ces cas-là, on se lève comme si c'était le départ du 400 m, on fait tomber son portable, on attrape dans un même élan gauche sa veste, son écharpe, sa besace, on se prend les pieds dans le tapis. On s'excuse de faire attendre alors que c'est nous qui avons attendu. Pas moi. Je laisse encore filer trois immenses secondes. Il est belle mon docteur. D'un léger déhanché, elle ondule imperceptiblement pour poser son épaule dénudée contre l'embrasure de la porte. Elle sourit. Cela fait plisser ses yeux en amande. Un truc de dingue.
-Alors... On y va ?
Oui. On y va.
Je me redresse. Je n'ai plus mal à la jambe. Je m'engouffre dans le couloir sombre, sur ses pas, d'une démarche un peu penchée imprimant déjà la posture d'une dévotion inconsciente. Ses cheveux exhalent une fragrance discrète de jasmin. Elle me fait signe d'entrer avant elle et de m'asseoir. Elle referme la porte sur le secret médical de ce qui va se passer à partir de maintenant.
C'était avant-hier. C'était le premier jour de l'automne. S'est-elle dit, comme moi, que l'été avait décidé de nous offrir un matin supplémentaire ?